« J’ai peur de blesser »

Il est des mots difficiles à prononcer, des aveux que l’on préfère éviter. Pourquoi ? Assez souvent, par peur de blesser, explique le cachotier ou la cachotière. Cela semble partir d’une bonne intention. Est-ce si sûr ?

Tuer sans blesser

Je suis tombée un jour sur le récit d’une histoire affreuse. Un soir, une jeune femme – appelons la Lydie pour le temps de l’article – est écrasée sous les yeux de son compagnon – appelons le Jérôme pour le temps de l’article – alors qu’ils marchent le long d’une route après une panne de voiture. Il s’avéra que le chauffard était l’ex de Jérôme. Il s’avéra que la garçon était complice et avait simulé la panne pour entraîner Lydie sur la route. Il s’avéra que le garçon avait renoué avec l’ex. Quand on demanda à Jérôme pourquoi il avait fomenté cet assassinat, sa réponse a été : « je ne voulais pas la blesser en lui apprenant que je la quittais ».

Comment comprendre que l’on puisse tuer quelqu’un par peur de le blesser avec une mauvaise nouvelle ? Et est-ce que cela a à voir avec nos lâchetés plus ordinaires ? (Oui, il est tout de même rare qu’on en arrive à de telles extrémités).

Il faut sauver l’image

Sous des dehors généreux (ne pas blesser) se cache régulièrement une toute autre préoccupation. Ce que Jérôme ne pouvait supporter, c’était le regard de Lydie lorsqu’il lui dirait qu’il la quittait pour retourner avec son ex. De même que le bon Docteur Romand a trucidé toute sa famille lorsqu’il était à un cheveu de se faire démasquer. Jérôme, comme Romand, était soucieux de son image. Se voir dans les yeux de l’autre comme un infidèle, comme un traitre, comme un type sans parole, c’était plus qu’il ne pouvait en supporter. Tuer l’autre sans être vu était alors la seule issue. Et dans un retournement pervers, l’assassin prétend avoir eu un geste de compassion : tuer pour ne pas blesser, pour ne pas imposer à l’autre la tristesse de se savoir trahi.

La vraie blessure

Qu’il s’agisse d’annoncer à son conjoint qu’on le trompe, et pas qu’un peu ; de dire à une amie que son habitude de toujours arriver les mains vides à une soirée nous agace ; d’avouer que les dimanches chez belle-maman nous donne des aigreurs et que l’on souhaiterait s’en passer, la raison de se taire la plus courante est : « je ne veux pas blesser ». Mais n’est-ce pas plutôt que endosser le mauvais rôle ça pique un peu ? Assumer ses actes ou ses sentiments, c’est se montrer sous un jour nouveau, peu flatteur parfois, c’est toujours s’exposer dans sa vérité et donc dans sa vulnérabilité. La vraie blessure narcissique que l’on cherche à éviter alors, c’est la nôtre. Comme Jérôme.

Faire le cadeau de la liberté

Lydie sera morte sans savoir à qui elle avait affaire. Elle a été écrasée en croyant que Jérôme était un homme merveilleux, parfait (mis à part concernant l’entretien de sa voiture). Un homme qui avait quitté sa femme pour elle. Las, ce type était un indécis, qui donnait raison à la dernière qui avait parlé. Mais elle n’en saura jamais rien. Et c’est peut-être cela qui est le plus dégueulasse. Que Jérôme souhaite s’éviter un bobo d’égo, après tout, pourquoi pas. Mais Lydie est privée d’un savoir important sur elle-même et sur sa relation avec son compagnon. Elle a donc été privé de faire son choix en connaissance de cause, elle a été privée de sa liberté (et de la vie, ce qui est une façon définitive de priver quelqu’un de choix et de liberté).

Ne pas dire les choses à quelqu’un, c’est le priver d’informations importantes, c’est le maintenir dans la méconnaissance de ce qu’est la relation, c’est décider à sa place. C’est le manipuler.

Sincérité peut rimer avec tact

Bien entendu, cela n’empêche pas le tact. On peut choisir le moment et la façon de dire quelque chose de délicat. Je me souviens d’un ami, il y a fort longtemps, qui a choisi le bon moment pour annoncer son désir de rompre. Sa compagne préparait un concours difficile, aussi a-t-il décidé d’avoir la conversation douloureuse une fois qu’elle avait passé toutes ses épreuves.

Alors, la prochaine fois que vous ne voulez pas blesser quelqu’un, demandez vous qui vous protégez vraiment : l’autre ou vous-même ?


Vous êtes empêtré.e dans votre peur de blesser ? Vous n’arrivez pas à dire quelque chose d’important à quelqu’un ? Peut-être même êtes-vous caché.e derrière un mur de mensonges ? Je vous aide à sortir de l’ombre et à vivre de façon plus sincère.

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