Est-il vraiment trop tard ?

Ou le sentiment d’avoir raté le coche

La vie semble parfois un immense parcours d’obstacles a réaliser en un minimum de temps. Il ne faut pas redoubler, pas perdre de temps sur le chemin de la réussite professionnelle, valoriser ses compétences en un temps limité, jouir avant que monsieur n’éjacule (ou éjaculer avant que madame ne se lasse), trouver un compagnon ou une compagne avant les premières rides, fonder une famille avant que maman ne se demande si on ne serait pas stérile, avoir une Rolex avant 50 ans, j’en passe et des plus angoissants. Mais le plus flippant, c’est que la ligne d’arrivée, on la connait tous [spoiler alerte : la ligne d’arrivée, c’est la porte du cimetière]. Alors pourquoi courir ? Et quand est-ce que c’est trop tard ?

Sandra et le quadragénaire.

Le sentiment qu’il est trop tard, qu’on est trop vieux, n’attend pas le nombre des années. Il envahie les têtes blondes pré-pubères comme les tempes argentées.

J’ai un jour lu l’article de blog d’une adolescente de 15 ans (appelons-là Sandra) qui disait être trop vieille. Elle venait de lire Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée(1). Il était trop tard pour elle pour la coiffer sur le poteau. Même en se droguant et en se prostituant elle le ferait à un âge plus avancé, ce qui amoindrirait considérablement son exploit, le renvoyant à une banalité effrayante.

J’ai un jour rencontré un quadragénaire qui se sentait formidablement vieux et vide, sans projet. Vide qu’il avait comblé en réussissant le projet de boire plus que de raison. Il était trop tard, disait-il, il était trop vieux, pour se mettre au golf (il ne s’agissait pas du golf, puisque je change des détails pour que l’histoire ne puisse pas être rapprochée de quelqu’un en particulier, mais peu importe). Je m’étonnais, considérant le golf comme un passe temps de vieux messieurs (j’ai mes à priori, comme tout le monde) ; j’en connaissais d’ailleurs un qui s’y était mis sur le tard, pour occuper sa pré-retraite. Mais je n’avais rien compris : il était trop tard pour devenir un champion, pour marquer l’histoire du golf, bref, pour sortir du lot. Inutile, donc, de s’y mettre.

Se comparer, se mesurer.

Mon quadragénaire ressemblait étonnement à la petite Sandra : ils se sentaient tous les deux trop vieux pour être les premiers ; il était trop tard pour être reconnu, remarqué, admiré. Le bonhomme n’avait en fait pas plus envie de parcourir un dix-huit trous que la petite Sandra de se prostituer après s’être enfilé un gramme d’héro. Ce qui m’émeut particulièrement dans la cas de Sandra, c’est qu’elle se sentait si minable que, à 15 ans, elle ne lorgnait que sur l’exploit de vivre une vie atroce.

Il n’est pas rare que mes clients se plaignent que « c’est trop tard », qu’ils se sentent trop vieux, et c’est souvent parce qu’ils se comparent. Car même s’ils ne se rêvent pas tous en plus jeune prostituée héroïnomane du monde ou champion de golf, ils ne veulent pas être ridicule sur des skis ou à la sortie de l’école au milieu de parents beaucoup plus jeunes. Ils redoutent les regards sur leurs rides et leur taille épaissie à leur premiers mariage ; les commentaires sur leur reconversion tardive.

Si Sœur Emmanuelle m’était comptée.

Savez-vous que sœur Emmanuelle n’a commencé sa carrière qu’à 63 ans ?Ou plus exactement qu’elle a commencé la carrière que tout le monde lui connait à 63 ans. Avant, elle a obéit à sa hiérarchie religieuse et elle a enseigné à des gosses de riches. Mais elle avait comme projet de se consacrer aux pauvres, alors elle a attendu d’être à la retraite des religieuses pour faire enfin ce qui lui tenait à cœur. Elle est alors partie en Egypte et s’est installée avec les chiffonniers, mission qu’elle a accomplit avec ferveur et qui l’a fait connaître au monde entier.

Heureusement qu’elle ne s’est pas dit qu’elle était trop vieille et qu’il était trop tard.

Alors, quand est-il trop tard ?

Il n’est jamais trop tard pour vivre, pour réaliser ce qui nous semble important. Même si l’humaine condition nous limite, en se rapprochant de ce qui compte pour nous (et pas du bénéfice narcissique qu’on en attend), on peut trouver un chemin pour le réaliser.

C’est ainsi qu’une femme regrettant de ne pas avoir su s’occuper de ses enfants est devenue famille d’accueil, qu’une doctorante est devenue cuisinière, qu’une enseignante est devenue écrivaine publique, qu’une femme de 65 ans s’est mise à la peinture et a ainsi découvert un secret de famille, que Franck McCourt a écrit son premier roman Les Cendres d’Angela(2)à l’âge de 67 ans.

Là où il y a un élan de vie il y a un chemin. Là où il y a le désir d’être grandiose il y a un mur infranchissable.

J’espère que Sandra ne s’est jamais drogué et prostitué. Mais je ne doute pas qu’elle a su utiliser son empathie pour Christiane F. , ses dons de blogueuse, et tout un tas d’autres choses pour faire des choses extraordinaires. Peut-être est-elle devenue sociologue, ou écrivaine ou… thérapeute.


(1) Moi, Christiane F., droguée, prostituée… Kei Hermann et Horst Rieck. Gallimard. (Folio). 1983

(2) Les cendres d’Angéla. Franck McCourt. Pocket. 2011.

Vous vous sentez trop vieux ou trop vieille ? C’est trop tard pour vous ? Venez prendre une rasade d’élixir de jeunesse !

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