Refusez le mensonge vital et retrouvez le pouvoir sur votre vie.

Alex Marzano-Lesnevich, auteure et enseignante américaine, aurait pu s’enfoncer dans l’anorexie et les troubles du comportements alimentaires. Mais elle s’en est sortie. Après des années de thérapie ? Non. En appliquant, sans le savoir, les préceptes d’Alfred Adler, l’un des trois grands fondateurs de la psychologie et de la psychanalyse (mais bien moins connu que Freud et Jung). Lecture croisée de L’empreinte, de la dite Alex, et d‘Avoir le courage de ne pas être aimé de Ichiro Kishimi et Fumitake Koga.

De Adler à Alex

Les hasards de lectures ont des magies inattendues. Il se trouve que j’ai lu la même semaine deux ouvrages qui, à priori, n’ont pas grand chose à voir.

Tout d’abord, Avoir le courage de ne pas être aimé, de Ichiro Kishimi et Fumitake Koga (traduit du japonais, vous vous en doutiez). Le titre était prometteur : le nombre de choses que mes clients font ou pensent devoir faire pour être aimé, apprécié, reconnu est proprement fénoménal. Et rares sont les personnes qui remettent en cause ce but, ce graal : être aimé. Même quand certains avouent « je sais bien qu’on ne peut pas plaire à tout le monde », je perçois souvent un « mais » se profiler.

Sous la forme d’un dialogue entre un jeune néophyte et critique et un philosophe chenu, l’ouvrage m’a fait découvrir la psycho-philosophie d’Alfred Adler, qui prend à rebrousse poil les conceptions freudiennes et propose une « psychologie individuelle » très étonnante et même fort inspirante.

Cependant, certains aspects m’ont parut très… japonais. Ou l’idée que je me fais de l’esprit japonais : samouraï, harakiri et karochi(1). Loin, très loin de l’auto-complaisance ! Est-ce Adler qui était ainsi, ou bien en est-ce la version japonaise ?

Mais c’était sans compter mes hasards de lecture qui allait me conduire à l’expérience toute Adlérienne d’Alex Marzano-Lesnevich et à mieux comprendre la lettre et l’esprit de la philosophie adlérienne.

L’empreinte est une enquête que réalise Alex Marzano-Lesnevich au sujet d’un pédocriminel qui a sévi dans l’Amérique des années 80-90 : elle cherche à comprendre les raisons profondes qui ont poussées cet homme à devenir agresseur puis tueur d’enfants. Mais si elle part sur les traces de cet homme, c’est pour des échos très personnels. Le livre tisse les deux histoires : celle du criminel (et de sa famille) et la sienne (et de sa famille).

Récit dérangeant, troublant, et très intime. Alex Marzano-Lesnevich raconte comment sa personnalité et ses choix se sont cristallisés autour d’un traumatisme d’enfance.

Le traumatisme n’existe pas

Et à propos de traumatisme, un des postulats de départ d’Alfred Adler (en tout cas tel que présenté dans le livre que j’ai lu), c’est que les psychotraumatismes n’existent pas. What ??? Pour la praticienne que je suis, cela semble une énormité. Je me passionne même pour cela et en particulier à travers une technique, la Somatic Expériencing, qui vise à résoudre les traumas.

De fait, Adler s’oppose à la vision éthiologique freudienne (et largement partagée de nos jours), selon laquelle des causes entraînant des effets, un évènement douloureux, un choc, entraîne potentiellement un traumatisme. Mes symptômes ont une cause, des facteurs. Je suis devenu alcoolique (non, je ne le suis pas, j’ai beaucoup de problème mais pas celui-là, mais c’est pour l’exemple) parce que mon père me battait. Ou bien je suis angoissée parce que ma mère m’a surprotégée (pas plus, c’est aussi pour les besoins de l’exemple).

Adler réfute cette vision causale, tournée vers le passé ; il pense qu’une vision téléologique est plus porteuse : nos comportements ont une finalité, et c’est cela qui compte. Je m’alcoolise parce que, ainsi, je peux éviter la confrontation sincère avec mes semblables, je peux même passer pour peu fiable et ainsi m’éviter tout un tas d’obligations. Et en prime, je peux charger mon paternel. Déroutant, n’est-ce pas ? Mais aussi, paradoxalement, plein d’espoir : si je ne peux rien concernant le passé, je peux décider de la finalité de mes actions et comportements.

L’expérience d’Alex irait à priori plutôt du coté des causes et de la croyance en l’éthiologie des problèmes. Elle cherche d’ailleurs à remonter d’une cause à une autre. « En droit, il existe un principe nommé cause adéquate », explique-t-elle. La cause adéquate, c’est la cause première, à la source de l’histoire. C’est pourquoi elle reconstitue l’histoire du pédocriminel, pour remonter à la source du mal, à la cause adéquate. Et pour ce qui est se son histoire à elle, un évènement traumatique devient, en quelque sorte, la « cause adéquate » de son parcours et de ses difficultés. La jeune Alex souffre, entre autre, de troubles du comportement alimentaire, elle est anorexique. Et si elle est anorexique, c’est vraisemblablement à cause de son trauma. Pas très adlérien, tout cela !

Mensonge vital : l’acceptation de soi comme clé

Pourtant, une phrase renverse radicalement la vision éthiologique de l’histoire d’Alex. Une phrase que je n’aurais peut-être pas remarqué si je n’avais pas lu Avoir le courage de ne pas être aimé. Cette phrase, la voici :

« Quand j’ai fait mon coming out, mes troubles alimentaires ont disparu très vite, à croire que mon corps n’avait fait qu’attendre que j’accepte qui je suis. »(2)

S’accepter telle qu’elle était, s’accepter homosexuelle, a transformé radicalement sa relation à la nourriture. Terminer l’anorexie, les vomissements, etc. On peut supposer avec Adler que ses troubles alimentaires servaient une finalité bien plus qu’ils n’étaient issus d’une cause (le traumatisme). Quelle finalité ? Et bien, peut-être, éviter la sexualité avec les garçons, mais peut-être aussi focaliser l’attention d’Alex sur son corps à un autre endroit que le sexe.

Alex était dans ce qu’Adler appelle un « mensonge vital ». Afin d’éviter ce que la personne doit faire et assumer, elle se trouve une excuse (pas de façon consciente, la plupart du temps), elle ment, à elle-même en premier lieu. A partir du moment où Alex assume son homosexualité, elle n’a plus besoin de ses problèmes alimentaires en couverture, ils disparaissent d’eux-mêmes.

Le mensonge vital d’Adler, et son appel à l’acceptation, m’est finalement très familier. L’acceptation est une des étapes cruciales de la psychosynthèse : tant que la personne lutte contre ce qui est, le processus est bloqué, rien ne se transforme, et elle vit selon un mode rétrécit, souffrant, éloigné de sa vérité profonde.

Finalité plutôt que cause : est-ce si simple ?

Parfois, oui, comme cela semble dans le cas des troubles alimentaires d’Alex Marzano-Lesnevich. Je me souviens d’une cliente qui revenait sans cesse sur l’idée qu’il lui était surement arrivé quelque chose étant enfant. Elle pensait que tant qu’elle n’aurait pas retrouvé cette cause, elle ne pourrait pas résoudre ses problèmes relationnels. Mais lors d’une expérience que je lui ai proposé en séance, elle s’est sentie libérée et soulagée de constater qu’elle n’avait pas besoin de régler le passé pour changer ses relations aujourd’hui. Elle n’avait plus besoin de se cacher derrière tout un tas de préliminaires à l’action et au changement.

De plus, je reçois régulièrement des personnes qui, après un long travail thépeutique, connaissent très bien la chaine des causes et conséquences, l’éthologie de leurs problèmes. Mais ressasser le passé ne leur sert à rien. Certains sont désespérés : le passé ne peut pas se changer, la cause à été, les conséquences sont là. Cela vaut une condamnation à vie. Non, le passé ne se change pas, mais les traces laissées par le passé, si. Le passé ne se change pas mais la relation que l’on a avec lui, si. La vision téléologique d’Adler offre une voie de changement, indépendamment du passé, et rend le pouvoir de changer à la personne (il existe depuis d’autres méthodes s’inspirant de cette dynamique, surtout dans les TCC, la psychologie positive, le coaching, etc.)

Cependant, il me semble assez cruel de ne pas entendre la plainte, au moins un temps. Reconnaitre le préjudice, repérer les responsabilités passées, rendre à l’agresseur ce qui lui appartient, c’est souvent le début de la reconstruction. Le début seulement, il est vrai.

Enfin, je pense à toutes ces personnes qui souffrent de symptômes sans pour autant se servir du passé comme « excuse ». L’amnésie traumatique, par exemple, est généralement associés à des troubles, d’autant plus incompréhensibles qu’il n’y a plus de souvenirs, donc aucune cause accessible à la conscience. Dans ce cas là, peut-on prétendre que seule la finalité compte ? Ou bien doit-on quand même s’occuper des traces en grande partie physiologiques laissées par les événements passés ? Les deux, ai-je envie de dire, tant il est vrai que, même si le passé peut nous hanter ce n’est jamais sous la même forme, d’un individu à un autre.

Un peu embrouillé.e dans vos causes et vos finalités ? Venez en parler en séance.

(1) Mort par épuisement au travail.

(2) Alex Marzano-Lesnevich. L’empreinte. 10/18. 2020. p.282

Curieusement, cet article ne parle pas du fameux problème du désir d’être aimé, alors que le titre du livre inspiré des théories d’Adler s’intitule Avoir le courage de ne pas être aimé. J’y reviendrai dans un prochain article.

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